Interview with Simon Pitaqaj on L’Homme du Sous Sol
THÉÂTRE PROSPERO presents a production of ‘Le Théâtre Liria’, an adaptation of Fydor Dostoyevsky’s masterpiece Notes from the Underground by Writer/Director/Actor Simon Pitaqaj. Karan spoke to Simon Pitaqaj about his vision for «L’homme du sous-sol»
Karan Sinj (KS): Pourriez-vous partager avec nous le processus créatif derrière L’homme du sous-sol?
Simon Pitaqaj (SP): Quand j’ai lu pour la première fois Les carnets du sous-sol, je suis resté tétanisé. J’ai tout de suite eu envie de les relire, encore et encore… Et puis, ce personnage ne m’a plus lâché. (Comme un air de musique qui vous poursuit tout le temps et partout!) J’ai eu ce désir de me confronter à lui, et surtout, de chercher la manière la plus juste de dialoguer avec lui. Alors, j’ai commencé un travail personnel. Je n’avais pas encore l’idée d’en faire un spectacle, c’était juste une recherche intime.
J’ai commencé à explorer toute la nouvelle, en partant dans de l’improvisation, en essayant de chercher l’action théâtrale tout en creusant dans les images. J’avais besoin de comprendre ces images à travers la scène. Un travail éprouvant mais très riche. Puis, j’ai eu besoin de revenir au texte et de le dire.
Tout au long de ce processus, j’ai invité des comédiens et des artistes d’autres horizons, pour échanger nos impressions.
J’ai organisé des lectures mises en espace dans des lieux différents (mais surtout pas de plateaux de théâtre!). À ce moment-là, j’éprouvais le besoin d’échanger avec un public. J’ai continué ce travail de recherche, jusqu’à sa forme finale. Cette forme qui s’est créée en chemin et sans le vouloir, car l’idée initiale était tout sauf d’en faire un spectacle! Mais L’homme du sous-sol en a décidé autrement: Il a voulu se donner en spectacle. Je ne fais qu’obéir, malgré moi, à cet homme paradoxal.
KS: Transformer une œuvre tragique et sombre en œuvre positive impliquerait de la réinventer complètement; comment avez-vous réinventé ou réinterprété Carnets du sous-sol?
SP: Au fur à mesure du travail, je me suis rendu compte que j’avais affaire à un homme, pas seulement à des concepts, des idées, des références, etc. Si cet homme a un corps, cela veut dire qu’il a aussi une mémoire. Le corps a plus de mémoire qu’un cerveau, une tête ! La mémoire du corps peut contenir une quantité de souvenirs – jusqu’à deux mille ans d’histoires qui seraient écrites dans nos veines, notre sang. Alors, l’être humain peut porter en lui le tragique, la joie, le drame, le jeu, la violence, l’amour, la légèreté, le bonheur… Il suffit juste d’ouvrir les vannes. Alors oui, il y a des moments où cet homme danse, rit, joue, saute, crie. Il s’énerve, il pleure. C’est un homme qui vit comme il peut, mais il vit. Et puis, c’est vrai que L’homme du sous-sol aime bien se mettre en scène. Même ses souvenirs les plus sombres, les plus brûlants, il sait les mettre à distance pour rire de ces moments de vie, et rire surtout de lui-même.
Et d’agir aussi avec violence contre lui-même!
KS: Qu’est-ce qui vous avez mené à explorer le premier œuvre de Dostoïevski qui parle de l’existentialisme?
SP: C’est un homme radical! C’est un homme qui rejette violemment la société dans laquelle il vit! Il a la force d’aller jusqu’au bout des choses. J’ai beaucoup pensé à Shakespeare et surtout à la fameuse phrase : «Être ou ne pas être?». L’homme du sous-sol pose tout le temps cette question : Agir ou ne pas agir? Vivre ou ne pas vivre? Oser aimer ou ne pas oser? Oublier ou ne pas oublier? Passé ou présent?
C’est passionnant, surtout à la lumière du monde dans lequel on vit : un monde de la finance, des hommes d’action, le libéralisme. Comment exister aujourd’hui en tant que jeune ou moins jeune? Quel avenir se dessine devant nous? Quel espoir? Nous vivons une période bouleversante, pour ne pas dire alarmante, et je trouve que Dostoïevski peut nous aider à explorer certaines pistes de l’existence.
KS: Dostoïevski est fortement influencé par la religion. Est-ce que votre lecture du texte a été influencée par vos expériences religieuses?
SP: Dostoïevski avait la foi. Peu importe qu’elle soit religieuse ou non, mais il m’a posé une question : Quelle est ma foi? La question de la croyance va au-delà de la religion. Elle nous fait retourner aux origines, à la racine. Je suis Albanais du Kosovo, et chez nous on se dit d’abord Albanais et ensuite chrétiens, musulmans, orthodoxes ou athées! Alors la question s’est posée à moi de cette manière: « Quelle est la foi d’un Albanais?» C’est une question qui m’a permis de me replonger dans l’histoire de mes origines, de fouiller et d’y observer notre part authentique, nos racines. Nous sommes un peuple très ancien, un peuple qui à été envahi pendant cinq siècles par l’empire Ottoman, qui a connu beaucoup d’autres invasions et de guerres, et malgré ça, ce qui nous reste et nous unit, ce sont les chants et les danses. Une pratique de l’ordre du rituel. Dans le spectacle, il y a aussi des chants et des danses traditionnels.
KS: En tant qu’écrivain, vous sentez-vous restreint, lorsque vous adaptez une œuvre célèbre déjà existante?
SP: Comme je le disais plus haut, je cherchais surtout à dialoguer avec Dostoïevski, sans jamais espérer être à sa hauteur. Car tout le monde sait que c’est un auteur de génie, mais d’une autre époque.
Aurait-il écrit la même œuvre aujourd’hui? Qu’aurait-il pensé de nos jours et de nos nuits dans ce monde-là? C’est la question que je lui pose tous les jours. Le texte qu’il me propose, je me le suis approprié et j’essaie de le réécrire à travers la scène. Et j’y reviens chaque jour, comme un artisan ou un paysan qui travaille la terre.
L’Homme Sous Sol (adaptation of Notes from the Underground) will be staged at THÉÂTRE PROSPERO (1371 Rue Ontario E, Montréal, QC) on January 28 to February 13, 2016. $28.50/$25.50/$23.50 Click here for schedule and tickets.